Il semblerait que l'humanité devient de plus en plus stupide au lieu de devenir de plus en plus intelligente.
Baisse du QI
Les mauvaises nouvelles sont venues du nord de l'Europe. Dans les armées scandinaves, les jeunes appelés passent des tests du quotient intellectuel, toujours les mêmes depuis des générations. Edward Dutton, anthropologue anglais qui a eu l'accès à ces bases de données, a découvert avec surprise que le QI augmentait jusqu'au milieu des années 90 et, depuis, il baisse de 2 points par décennie. Le constat est semblable partout où l'on a pris soin de procéder aux tests : en Finlande, en Estonie, en Allemagne, en France... d'où la conclusion alarmante de Dutton publiée dans la revue "Intelligence" : "La civilisation qui repose sur l'intelligence semble aller en sens inverse."
A la recherche de raisons
La baisse du QI n'est pas la seule menace qui plane sur les cerveaux. Un nombre croissant d'enfants souffrent de déficit d'attention, d'hyperactivité (TDAH) ou d'autisme.
Entre 1990 et 2001, le nombre d'enfants diagnostiqués autistes a augmenté de 600 % en Californie. Des chiffres difficiles à croire tant la progression a été forte et rapide mais cette hausse a été observée aussi dans le reste du pays. Des études réalisés tous les deux ans montrent que le nombre d'enfants autistes est passé de 1/250 à 1/68. Un enfant sur 68 diagnostiqué autiste aux USA aujourd'hui ?
Quand les scientifiques voient ces données, ils pensent immédiatement à la thyroïde. Pourquoi la thyroïde ? Il suffit de penser aux crétinisme.
Crétinisme = carence d'iode dans la thyroïde
Le mot crétin, s'il résonne aujourd'hui comme une insulte, a d'abord désigné au 19e siècle, une personne atteinte d'une maladie congénitale grave.
En 1966, dr Peter Pharoah, un médecin britanique fut intrigué du fait que crétins, de petite taille, souffraient de retard mental et, détail important, étaient souvent affligés d'un goitre, c'est-à-dire un enflement du cou provoqué par un gonflement de la thyroïde. Il a procédé aux essais thérapeutiques qu'il a mené sur des milliers de personnes en Nouvelle Guinée, et il a découvert que le crétinisme était du à la carence d'iode chez des femmes enceintes et, que plus est, que tout se joue dès les premières semaines de la grossesse.
"Sans iode, on ne peut pas fabriquer d'hormones thyroïdiennes. Et sans hormones thyroïdiennes, notre cerveau ne se développe pas correctement. Quand nous consommons de l'iode à travers du sel iodé ou du poisson, la thyroïde fixe cet iode pour fabriquer les hormones thyroïdiennes. Ces hormones contiennet trois ou quatre atomes d'iode. Ils s'avèrent essentiels au développement cérébral du futur bébé."
Sa découverte a permis d'éradiquer le crétinisme et, pourtant, l'importance de l'iode semble avoir été oublié depuis. L'OMS constate des déficits en iode dans une cinquantaine de pays. En clair, sur la carte plus bas 44% des européens sont en carence plus ou moins marquée.
Dans les années 70, dr Francesco Vermiglio (Sicile) et son équipe ont constaté une différence de plusieurs points de QI entre les enfants de mères les plus carencées en iode, et ceux des mères non carencées. Le taux d'iode des mères impacte directement le QI des enfants.
Toutefois, la carence d'iode ne permet à elle seule d'expliquer les troubles du développement cérébral. Une autre menace tout aussi invisible pèse sur les thyroïdes dans notre environnement.
Perturbateurs endocriniens
Un grand nombre de substances chimiques présentent une structure très proche de celle de l'iode, tellement proche qu'ils sont classés dans la même colonne du tableau périodique des éléments. Il s'agit de brome, de chlore, de fluor.
Les scientifiques pensent que notre corps les confond avec les hormones thyroïdiennes. Les molécules chimiques fabriqués à partir de brome, de fluor ou de chlore ont en effet presque la même structure que celle des hormones thyroïdiennes. Elles peuvent donc prendre leur place dans le corps, et perturber le fonctionnement hormonal.
"Ce sont donc les premiers suspects parmi les perturbateurs endocriniens qui pourraient affecter le développement cérébral."
1er suspect : PCB
Le premier candidat est un dérivé du club les polychlorobiphényles, plus connu sous le nom PCB .
Ils ont été massivement utilisés dans les transformateurs électriques, les plastiques, les peintures ou les colles. Malgré leur interdiction dans les années 80, ils sont tellement persistants qu'on les retrouve encore partout. Poussière réduite en sédiments, il remonte la chaîne alimentaire à travers certains poissons ou fruits de mer, certaines viandes, certains produits laitiers, et termine dans nos assiettes.
Un chercheur américain, spécialiste de l'action de la thyroïde sur le développement du cerveau, Thomas Zoeller (University of Massachusetts) ne pensait pas que le PCB puisse avoir une action sur le fonctionnement thyroïdien. Il prépare donc un cocktail de PCB puis le dépose sur des cookies, un aliment particulièrement apprécié des rats. Dans une salle stérile, il donne ces cookies à des rates gestantes. En observant ensuite les cerveaux des bébés exposés in utero au cocktail, il constate que la façon dont leur cerveau s'est développée était différente: ils avaient des cellules nerveuses au mauvais endroit. L'expression de certains gènes importants dans le fonctionnement cérébral était déréglé. Cela signifie que le PCB peut interagir avec le récepteur de l'hormone thyroïdienne et changer le développement du cerveau. Le chercheur expose ensuite des lignées de cellules humaines au même mélange de PCB. Et là encore, il constate que ces substances chimiques agissent comme des hormones thyroïdiennes.
"Cela signifie donc que toute la population est exposée à un produit chimique qui altère le développement du cerveau de façon subtile, et qui provoque des changements comportementaux chez nos enfants."
Plusieurs études ont montré une corrélation entre taux de PCB des mères et baisse de plusieurs points de QI chez leurs enfants.
2e suspect : Retardateurs de flamme
D'autres substances se sont glissés au coeur de nos maisons: les retardateurs de flamme, dérivés du chlore ou du brome. On en trouve dans les téléviseurs, les ordinateurs, les téléphones portables ou encore dans certains matelas et mousses de canapé.
Dès les années 70, les pyjamas des enfants américains étaient imprégnés de tris, une variété de retardateurs de flamme. C'est alors qu'une chimiste de l'Université de Berkeley, Arlette Blum, a démontré qu'au bout d'une nuit seulement, le tris passait immédiatement dans l'urine. Chaque fois qu'une fille portait un pyjama, le niveau du tris augmentait dans son urine. Quand elle a cessé de le porter, le niveau a baissé.
Si les retardateurs de flamme se retrouvent dans le corps des enfants, quel est leur effet sur leur santé ?
Arlette Blum teste le tris(1) en laboratoire et montre que ce produit chimique est un mutagène: il modifie l'ADN. L'article publié dans la prestigieuse revue 'Science" provoque un cataclysme. Trois mois après sa publication, le tris a été interdit dans les pyjamas pour enfants aux États-Unis.
En 2006, au retour en Californie, Arlette Blum découvre que les retardateurs de flamme sévissent. Le tris chloré avait été retiré des pyjamas mais il était de retour dans un tas de produits pour bébés aux Etats-Unis. Elle l'a découvert en apprenant que, chose en théorie impossible, sa chatte souffrait de l'hyperthyroïdie. Les analyses faites, elle apprend que: "les taux de retardateurs de flamme dans votre chat et dans la poussière de votre maison sont tellement élevés qu'on n'a jamais vu ça." Arlette Blum cherche à mesurer l'ampleur de la contamination. Au total 80% des 101 produits de puériculture testé par elle en 2011 contiennent du tris chloré.
"Les produits chimiques s'évaporent et tombent dans la poussière. La poussière se pose sur de mains, et donc quand nous mangeons, nous finissons par les avaler. Les enfants qui traînent dans la poussière et mettent leurs mains à la bouche ont donc des taux qui peuvent être 3 à 5 fois ou même 30 fois supérieurs à ceux de leurs parents. Une contamination d'autant plus effrayante que de nouvelles recherches ont montré un lien entre exposition à certains retardateurs de flamme et le développement cérébral."
Les retardateurs de flammes sont de nouveau pointés du doigt aux Etats-Unis. Depuis fin 2013, en Californie, ils ne sont plus obligatoires dans les mousses, les canapés ou les vêtements d'enfants.
Décriés aux Etats-Unis, les industriels accentuent leur offensive en direction de l'Europe où les législations diffèrent d'un pays à l'autre. Bien malin celui qui pourra affirmer avec certitude qu'il n'est pas allongé sur un tapis ou une mousse traités aux retardateurs de feu.
3e suspect : Pesticides
Les pesticides sont des dérivés, au gré, des combinaisons du fluor, du brome ou du chlore.
Brenda Eskenazi, une épidémiologiste américaine, scrute leur effet depuis plus de 20 ans.
En tant que neuropsychologue, elle voulait surtout savoir si les pesticides avaient des effets secondaires sur le développement neurologique des enfants.
"On savait qu'à haute dose, ces molécules sont neurotoxiques, c'est à dire qu'elles affectent le système nerveux. Mais, à faible dose, sur la durée, auront-elles un effet sur le développement cérébral du foetus?"
Dans les années 2000, elle lance l'étude "chamacos" ("enfants" en espagnol). La Californie est l'état américain qui utilise la plus grande quantité de pesticides. Dans la Vallée de Salinas, célèbre pour sa production agricole, l'ensemble de la population est ainsi largement exposé.
Elle recrute pas moins de 600 femmes enceintes, la plupart issus de familles de travailleurs agricoles. Au total près de 220 milles échantillons biologiques et environnementaux - sang, urine, poussière du domicile - sont récoltés. Un trésor scientifique, précieusement conservé dans des bâtiments sécurisés à côté de San Francisco. Par son ampleur, par sa durée aussi (17 ans déjà), ces recherches épidémiologiques sont exemplaires. Leurs résultats n'en sont que plus saisissants.
"En mesurant les résidus des pesticides organophosphates dans l'urine des mères, on a vu une relation entre les taux de ces résidus, et le développement cérébral des enfants. Nous avons observé des réflexes anormaux chez les nouveau-nés, un retard intellectuel chez les enfants de 2 ans, une baisse de QI chez les enfants de 7 ans. On a aussi constaté une augmentation des problèmes d'attention et une hausse des symptômes autistiques."
L'exposition aux pesticides pourrait donc contribuer à l'explosion du nombre de cas d'autisme observé en Californie (pour mémoire plus de 600 % en vingt ans).
Pour Irva Hertz-Picciotto (Université de California), cela n'explique qu'un tiers de l'augmentation, deux tiers reste inexpliqué.
"Les pesticides sont conçus pour tuer les organismes vivants, et la plupart d'entre eux le font en agissant sur le cerveau. C'est le mode d'action de la plupart d'entre eux. Les pesticides sont fabriqués pour attaquer les fonctions cérébrales."
Elle a fait coïncider les cartes d'épandage de pesticides avec celle des adresses des femmes, puis a regardé à quelle distance des champs traités habitaient ces femmes, et quels types de pesticides avait été épandue. Son étude a montré que les pesticides organophosphates étaient associées à un risque accru d'autisme si les épandages près des maisons des mères avaient lieu au second et troisième trimestres de la grossesse.
Deux études menées en milieu urbain, à New York, montrent que le problème ne concerne pas uniquement les milieux ruraux car les pesticides se cachent aussi dans des endroits inattendus comme dans les produits utilisés pour éliminer les blattes où les cafards. Les appartements sont contaminés, les enfants aussi comme l'ont clairement montré les tests réalisés au fil des années.
"Bien que les populations étaient très différentes: une communauté agricole, deux communautés urbaines, avec les marqueurs d'exposition différents. La relation entre l'exposition prénatale à l'organophosphates et les baisses de QI étaient très semblables dans les trois études."
L'usage du chlorpyrifos-éthyl (CPS) (famille d'organophosphates) en intérieur est désormais interdit aux Etats-Unis mais il est encore autorisé en agriculture.
Aux USA comme en Europe où ces mêmes pesticides sont utilisés, des parents et des enfants réclament de larges zones de sécurité entre les champs et les écoles. En vain jusqu'à présent mais ces mesures, aussi indispensables soient-elles, peuvent paraître limitées au regard du nombre de molécules introduite dans l'environnement.
"Sans étude préalable, nous ne savons pas combien de molécules altèrent le cerveau. Il y en a tellement, et il y a si peu de tests pour répondre à cette question. Combien de molécules chimiques peuvent agir sur l'action de l'hormone thyroïdienne? On a longtemps cru que le placenta était une barrière protectrice étanche. Ce n'est pas le cas..."
Soupe chimique
Nous ne nous sommes jamais vraiment demandé comment les molécules chimiques entrent dans nos corps: cosmétiques, savons, antibactériens, détergents, plastiques, revêtements antiadhésifs...
"Nous baignons dans une véritable soupe chimique. Chaque bébé né aujourd'hui aux Etats-Unis à plus 100 molécules chimiques mesurables dans le sang." Le conseil américain de l'industrie de la chimie a commenté ce chiffre en prétendant que la présence de ces molécules ne signifie pas forcément qu'elles sont dangereuses. C'est peut-être le cas mais qu'attendons-nous pour le vérifier ? N'y-a-t-il pas de quantité de molécules déjà identifiées comme mauvaises: le plomb, le PCB aussi, les retardateurs de flammes ? Qu'attendons-nous ?"
Barbara Demeneix et son équipe de CNRS (France) ont relevé le défi. Ils ont élaboré un test fiable et simple dont l'objectif est d'identifier les substances qui perturbent la thyroïde. Le test repose sur des têtards parce que les hormones thyroïdiennes du têtard et des humains sont les mêmes. Pour les besoins de l'expérience, les têtards-sentinelles sont rendus fluorescents par manipulation génétique.
Des chercheurs testent un cocktail de 15 substances chimiques retrouvés chez toutes les femmes enceintes: bisphénol A, triclosan, phtalates, métaux lourds, composés perfluorés, pesticides. Ce cocktail agit sur l'hormone thyroïdienne dans le cerveau de nos têtards ce qui modifie leur fluorescence. Les têtatrds auquels on a donné des hormones thyroïdiennes ont le cerveau très clair (lumineux). Les têtatrds auquels on a donné de l'hormone thyroïdienne avec le cocktail de molécules émet le signal lumineux beaucoup plus faible. Si ce cocktail agit sur le fonctionnement de la thyroïde des têtards (alors que l'hormone thyroïdienne du têtard est exactement la même que la nôtre), on peut prédire que ce même cocktail aura un effet négatif sur le développement cérébral de nos enfants.
L'équipe de Barbara Demeneix a testé des centaines de molécules. 65% d'entre elles perturbent le fonctionnement thyroïdien - les deux tiers.
Economie...
L'impact des perturbateurs endocriniens sur le développement du cerveau s'impose désormais comme une question de société. Non seulement d'un point de vue moral - parce qu'on altère le potentiel intellectuel des enfants - mais aussi d'un point de vue économique.
L'industrie chimique oppose à toute réglementation le danger d'un effondrement de son activité avec des licenciements à la clé. Mais quel est le coût social et économique de l'inaction?
Léo Trasande est pédiatre à New York. Entouré d'une équipe d'économistes et de statisticiens, il a calculé le coût pour la société de la perte progressive des points de QI.
_"Si un enfant rentre de l'école avec 1 point QI en moins, les parents ne le remarqueront même pas. Mais si 100.000 enfants rentrent de l'école avec une perte de 1 point, l'économie le remarquera fortement. On sait que les enfants qui ont 1 point de QI en moins perdent 2% de productivité dans leur vie. Or, un enfant à une productivité moyenne de 1 millions de dollars au cours de sa vie future. Si vous faites le calcul, chaque point de QI perdu coûte 20.000 dollars par enfant."
Comme tout calcul, celui-ci peut paraître froid mais il s'agit bien du (seul) langage commun de l'industrie et de ceux qui écrivent les lois...
On a récemment calculé le coût en terme de santé et le coût économique des perturbateurs endocriniens aux Etats-Unis et en Europe. Dans les deux cas, les coûts sont énormes, de l'ordre de 217 milliards de dollars en Europe, et de 340 milliards de dollars aux Etats-Unis. Ces coûts sont considérables alors qu'ils ne sont calculées que sur une toute petite partie de l'ensemble des perturbateurs endocriniens.
Mesures ad-hoc
Cette histoire n'est pas la chronique d'une impuissance. L'action est toujours possible comme l'a montré Arlette Blum en Californie. Une alliance entre des scientifiques, des citoyens informés et des politiques convaincus peut changer le cours des choses. En attendant une réglementation plus efficace, les scientifiques conseillent d'éliminer au maximum les bisphénols, composés perfluorés, phtalates, triclosans, pesticides, ou retardateur de feu qui ont envahi notre quotidien. Et pour réduire leurs effets sur le cerveau, Barbara Demeneix propose une mesure totalement négligée et facile à mettre en oeuvre: s'assurer que les femmes enceintes aient suffisamment d'iode pour fabriquer des hormones thyroïdiennes pour elles-mêmes et leurs enfants.
(1) - abréviation de trishydroxyméthylaminométhane ou 2-amino-2-hydroxyméthyl-1,3-propanediol