Guillaume Pitron , journaliste pour Le Monde Diplomatique, Géo ou National Geographic, s'est intéressé aux matières premières de la transition énergétique. Six ans d’enquête à travers une douzaine de pays, et un livre: «La guerre des métaux rares, La face cachée de la transition énergétique et numérique».
En nous émancipant des énergies fossiles, nous sombrons en réalité dans une nouvelle dépendance : celle aux métaux rares. Graphite, cobalt, indium, platinoïdes, tungstène, terres rares… ces ressources sont devenues indispensables à notre nouvelle société écologique (voitures électriques, éoliennes, panneaux solaires) et numérique (elles se nichent dans nos smartphones, nos ordinateurs, tablettes et autre objets connectés de notre quotidien). Or les coûts environnementaux, économiques et géopolitiques de cette dépendance pourraient se révéler encore plus dramatiques que ceux qui nous lient au pétrole., écrivent les Éditions LLL dans la présentation du livre, paru en Janvier 2018.
La 3e transition énergétique
La 1ère transition, au XIXe siècle, c'était l'utilisation des machines à vapeur qui dépendaient du charbon ; la 2e transition, au XXe siècle, c'était le moteur thérmique (moteur à essence) qui dépendait du pétrole ; la 3e transition, au XXIe siècle, ce sont les technologies dites "vertes" (éoliennes, panneaux solaires, voitures électriques), liées à des "réseaux intellligents". Ces technoloqies-là n'ont pas besoin de combustibles fossiles, donc elles ne généreront pas du réchauffement climatique, nous dit-on.
Il y a 3 postulats qui inspirent cette 3e transition énergétique :
- elle serait écologique car elle permettrait de nous sevrer du pétrole et des hydrocarbures qui polluent et rechauffent le climat (et qui s'épuisent) ;
- elle permettrait la création de nouveaux emplois dans des technologies d'avenir ;
- elle rendrait le monde moins dangereux puisque, ne dépendant plus du pétrole, nous pourrions dire adieu aux guerres qu'on a mené en son nom.
Qu'en est-il de ces postulats ?
Dépendance des métaux rares
L'auteur observe qu'il y a un angle mort de cette transition énergétique car elle repose, elle aussi, sur des ressources : sur des métaux rares.
Tableau périodique : métaux rares (en gras sur l'image ci-dessous)
On sait les extraire, raffiner et utiliser pour les technologies vertes. Ils constituent les vitamines du high tech et de green tech. On les saupoudre un peu partout et elles rendent les technologies beacoup plus performantes.
Prenons l'exemple des composants d'un smartphone :
La coque : Brome, Carbon, Magnésium, Nickel ;
La batterie : Aluminium, Carbone, Cobalt, Litium, Oxygène ;
L'électronique : Antimoine, Argent, Arsenic, Cuivre, Dysprosium, Étain, Gadolinium, Gallium, Nickel, Néodyme, Or, Oxygène, Phosphore, Plomb, Praséodyme, Silicium, Tantale, Terbium ;
L'écran : Aluminium, Dysprosium, Étain, Europium, Gadolinium, Indium, Lanthane, Oxygène, Praséodyme, Potasium, Silicium, Terbium, Yttrium.
Par exemple : sans le néodyme, notre téléphone ne vibre pas.
Ces matières premières, abondantes et rares à la fois, il faut bien les extraire quelque part.
Pour extraire 1 kg de vanadium, il faut purifier 8,5 tones de roches ; pour 1 kg de serium - 16 tones de roches ; pour 1 kg de gallium - 50 tones de roches, et pour 1 kg de lutécium - 1200 tones de roches !
C'est là qu'on mesure la rareté de ces métaux-là. Le ratio par rapport à l'extraction de métaux répandus est de 1/1000, voire 1/2000, voire 1/3000.
Répartition des matières premières
On les extrait dans plusieurs pays :
— le lithium, moins rare et très stratégique pour les voitures électriques, on le trouve dans les salars de l'Amérique Latine ;
— le cobalt - métal critique pour la Commission Européenne - en RDC ;
— et tous les métaux rares, on les trouve en Chine qui possède 95% de ressources mondiales.
Terres rares - les réserves mondiales, de la Chine à l'Afrique
Le postulat d'indépendance énergetique part donc en brèche.
Coût pour les hommes et l'environnement
Les conditions d'extraction de ces métaux sont souvent ignobles, déplorables.
— Mongolie intérieure ? L'enfer de Dante - nous dit Guillaume Pitron. - Zones dévastées. Le procesus de raffinage est très sale. Iil y a des lacs de rejets toxiques remplis des eaux usées par le raffinage, qui débordent dans le Fleuve Jaune .
Il faut beaucoup d'eau pour le raffinage. Donc la Mongolie importe de l'eau, et la désalinise. Ceci nécessite beaucoup d'énergie. Il y a donc des coûts.
Pourquoi n'entendons-nous jamais parler de ça ? Parce que ça se passe tellement loin de chez nous que nous fermons les yeux sur le fait que pour faire du propre, il faut faire du sale. Parce que, avant, on le faisait ici mais c'était trop sale. On s'en est donc déchargé sur les pays pauves, toujours prêtes à accepter tout ce qui peut leur apporter un peu de sou. Aujourd'hui, on rachète ces métaux déjà purifiés, et on peut prétendre qu'on est écolo. Personne ne s'intéresse à la pollution en amont. C'est une délocalisation de la pollution aux conséquences sociales affligeantes.
Besoins exponentiels
Selon une étude de CNRS, il faudrait extraire plus dans les prochaines 30 années que depuis 70.000 ans. Les 7 mld de gens que nous sommes aujourd'hui, vont tirer de la Terre plus que les 115 mld de gens qui nous ont précédés sur cette planète.
Nos besoins sont exponentiels. Les courbes de croissance du marché des terres rares s'envolent. 15% de croissance par an. On double la production tous les 3-4 ans. Au nom d'une sobriété, il nous faut toujours plus de matières premières. On se retrouve en plein paradoxe.
Tensions géopolitiques à prévoir
Jusqu'à présent, l'Occident a réussi à sécuriser l'accès au pétrole, qui était la ressouce énergétique la plus importante au XXe siècle. Ça s'est fait au prix des guerres. Désormais, on bascule dans un nouvel âge énergétique... et dans une nouvelle dépendance de matières premières. Sauf que ça ne sera plus la dépendance de l'Arabie Saoudite ou d'autres pétromonarchies, mais de la Chine.
En effet : terres rares, bismuth, tungstène, antimoine, germanium, gallium... La Chine produit quasiment tous les minerais nécessaires à la 3e transition énergétique. L'époque du colonialisme étant révolue, surtout par rapport à une puissance comme la Chine, la Chine peut les utiliser comme un levier industriel et géopolitique.
Notons au passage qu'aujourd'hui, la Chine est plus avancée sur les technologies vertes que l'Occident.
Solutions ?
Selon l'auteur, il nous faut une transition dans les consciences : "On ne règle pas un problème avec les modes de pensées qui l'ont engendré" (Einstein)
Il faudrait recycler ces métaux rares, substituer certains métaux rares par d'autres, lutter contre l'obsolescence programmée des produits. En somme : changer nos modèles économiques. Par exemple : arrêter d'acheter pour commencer à louer.
Si vous achetez un téléphone portable, son producteur a intérêt à ce que vous le jettiez le plus vite possible pour en acheter un nouveau. S'il vous le loue, il aura intérêt à ce que l'appareil dure le plus longtemps possible...
En changeant la manière de consommer, on change le besoin en matières premières. Une transition énergétique donc mais associée à une transition culturelle.
Pour être indépendant par rapport aux approvisionnements en minerais rares, on pourrait aussi rouvrir de mines chez nous, et les rendre propres sous nos réglementations.
Ce sont toujours les pauvres qui payent les transitions. Il serait peut-être temps de partager le fardeau et assumer nos besoins nous-mêmes. Sur un plan moral et politique, ça serait souhaitable, conlue Guillaume Pitron.