Souvenirs et réflexions de Jeffrey Sachs, conseiller économique de la Pologne (1989) et de la Russie (1991-1993).
Comment les néocons ont préféré l'hégémonie à la paix dès les années 90
par Jeffrey Sachs
Transcript:
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En 1989, j'ai servi en tant que conseiller pour le premier gouvernement post-communiste de Pologne et j'ai aidé à élaborer une stratégie de stabilisation financière et de transformation économique. Mes recommandations en 1989 préconisaient un soutien financier occidental à grande échelle pour l'économie polonaise afin de prévenir une inflation galopante, de permettre une monnaie polonaise convertible à un taux de change stable, et une ouverture du commerce et des investissements avec les pays de la Communauté européenne (aujourd'hui l'Union européenne). Ces recommandations on étent suivies par le gouvernement américain, le G7 et le Fond Monétaire International.
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Sur mes conseils, un fond de stabilisation d'un milliard de Zlotys a été créé pour soutenir la nouvelle monnaie convertible de la Pologne. La Pologne a obtenu un moratoire sur le service de la dette de l'ère soviétique, suivi d'une annulation partielle de cette dette. La Pologne a reçu une aide au développement significative sous forme de subvention et de prêts de la part de la communauté internationale officielle.
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La performance économique et sociale ultérieure de la Pologne parle d'elle-même. Malgré une décennie de déclin économique dans les années 1980, la Pologne a entamé une période de croissance économique rapide au début des années 1990. La monnaie est restée stable et l'inflation faible. En 1990, le PIB par habitant de la Pologne (mesuré en terme de parité de pouvoir d'achat) était de 33 % de celui de l'Allemagne voisine. En 2024, il avait atteint 68 % du PIB par habitant de l'Allemagne, après des décennies de croissance économique rapide.
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Sur la base du succès économique de la Pologne, j'ai été contacté en 1990 par Monsieur Grigory Yavlinski, conseiller économique du président Mikhail Gorbatchev, pour offrir des conseils similaires à l'Union soviétique, et en particulier pour aider à mobiliser un soutien financier pour la stabilisation et la transformation économique de l'Union Soviétique. Un résultat de ce travail a été un projet de 1991 entrepris à la Harvard Kennedy School avec les professeurs Graham Allison, Stanley Fisher et Robert blackwill. Nous avons conjointement proposé un "Grand Bargain" aux États-Unis, au G7 et à l'Union soviétique, dans lequel nous avons préconisé un soutien financier à grande échelle par les États-Unis et les pays du G7 pour les réformes économiques et politiques en cours de Gorbatchev. Le rapport a été publié sous le titre "Window of opportunity: The Grand Bargain for Democracy in the Soviet Union (1er octobre 1991).
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La proposition de soutien occidentale à grande échelle pour l'Union Soviétique a été catégoriquement rejetée par les faucons de la guerre froide à la Maison Blanche. Gorbatchev est venu au sommet du G7 à Londres en juillet 1991 pour demander une aide financière, mais il est reparti les mains vides. À son retour à Moscou, il a été enlevé lors de la tentative de coup d'état d'août 1991. À ce moment-là, Boris Eltsine, président de la Fédération de Russie, a pris la direction effective de l'Union Soviétique en crise. En décembre, sous le poids des décisions de la Russie et d'autres républiques soviétiques, l'Union Soviétique a été dissoute avec l'émergence de 15 nouvelles nations indépendantes.
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En septembre 1991, j'ai été contacté par Yegor Gaïdar, conseiller économique de Eltsine, et bientôt Premier ministre par intérim de la Fédération de Russie nouvellement indépendante à partir de décembre 1991. Il m'a demandé de venir à Moscou pour discuter de la crise économique et des moyens de stabiliser l'économie russe. À ce stade, la Russie était au bord de l'hyperinflation, du défaut de paiement financier envers l'Occident, de l'effondrement du commerce international avec les autres républiques et avec les anciens pays socialistes d'Europe de l'Est, et de graves pénuries alimentaires dans les villes russes résultant de l'effondrement des livraisons alimentaires des zones agricoles et du marché noir omniprésent des denrées alimentaires et autres produits essentiels.
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J'ai recommandé que la Russie réitère l'appel à une aide financière occidentale à grande échelle, y compris un moratoire immédiat sur le service de la dette, un allègement de la dette à plus long terme, un fond de stabilisation de la monnaie pour le rouble (comme pour le zloty en Pologne), des subventions importantes en dollars et en devises européennees pour soutenir les importations urgentes de nourriture et de médicaments, ainsi que d'autres flux de produits essentiels, et un financement immédiat par le FMI, la Banque mondiale et d'autres institutions pour protéger les services sociaux de la Russie (santé, éducation, et autres).
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En novembre 1991, Gaïdar a rencontré les adjoints du G7 (les vice-ministres des finances des pays du G7) et a demandé un moratoire sur le service de la dette. Cette demande a été catégoriquement refusée. Au contraire, on a dit à Gaïdar que si la Russie ne continuait pas à honorer chaque dernier dollar à son échéance, l'aide alimentaire d'urgence en route vers la Russie serait immédiatement retourné et renvoyé aux ports d'origine. J'ai rencontré un Gaïdar au visage livide immédiatement après la réunion avec les adjoints du G7.
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En décembre 1991, j'ai contré Eltsine au Kremlin pour l'informer de la crise financière de la Russie et de mon espoir et pladoyer continus pour une aide d'urgence de l'Occident, surtout que la Russie émergeait désormais comme une nation indépendante et démocratique après la fin de l'Union Soviétique. Il m'a demandé de servir de conseiller à son équipe économique, avec un accent sur la mobilisation du soutien financier à grande échelle nécessaire. J'ai accepté ce défi et le poste de conseiller sur une base strictement bénévole.
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À mon retour de Moscou, je suis allé à Washington pour réitérer mon appel à un moratoire sur la dette, un fond de stabilisation monétaire et un soutien financier d'urgence. Lors de ma rencontre avec Mr Richard Erb, directeur général adjoint du FMI chargé des relations globales avec la Russie, j'ai appris que les États-Unis ne soutenaient pas ce type de programme financier. J'ai de nouveau plaidé la cause économique et financière, déterminé a changé la politique des États-Unis. Mon expérience dans d'autres contextes de conseil m'avait appris qu'il pourrait falloir plusieurs mois pour influencer Washington sur son approche politique.
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En effe,t entre 1991 et 1994, je plaidais sans relâche, mais sans succès, pour un soutien occidental à grande échelle à l'économie en crise de la Russie, ainsi qu'un soutien aux 14 autres États nouvellement indépendants de l'ex-Union soviétique. J'ai lancé ces appels dans d'innombrables discours, réunions, conférences, tribunes et articles académiques. J'étais une voix solitaire aux États-Unis à réclamer un tel soutien. J'avais appris de l'histoire économique — surtout des écrits cruciaux de John Maynard Keynes (notamment "Les conséquences économiques de la paix, 1919" — et de mes propres expériences de conseil en Amérique latine et en Europe de l'Est, que le soutien financier extérieur à la Russie pourrait bien être déterminant pour l'effort de stabilisation urgent de la Russie.
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Il vaut la peine de citer longuement ici mon article dans le Washington Post de novembre 1991 pour présenter l'essentiel de mon argumentation de l'époque :
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C'est la troisème fois dans ce siècle que l'Occident doit s'adresser au vaincus. Lorsque les empires allemand et habsbourgeois se sont effondrés après la Première Guerre mondiale, le résultat a été le chaos financier et la désorganisation sociale. Keynes a prédit en 1919 que cet effondrement total en Allemagne et en Autriche, combiné à un manque de vision de la part des vainqueurs, conspirerait pour produire un retour furieux vers la dictature militaire en Europe centrale. Même un ministre des Finances aussi brillant que Joseph Schumpeter en Autriche n'a pas pu endiguer le torrent vers l'hyperinflation et l'hyper-nationalisme, et les États-Unis ont sombré dans l'isolationis des années 1920 sous la "direction" de Warren G. Harding et du sénateur Henry Cabot Lodge.
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Après la Seconde Guerre mondiale, les vainqueurs ont été plus intelligents. Harry Truman a demandé un soutien financier des États-Unis à l'Allemagne et au Japon, ainsi qu'au reste de l'Europe occidentale. Les sommes impliquées dans le Plan Marshall, équivalentes à quelques pourcent des PNB des pays bénéficiaires, n'étaient pas suffisantes pour reconstruire réellement l'Europe. C'était cependant une bouée de sauvetage politique pour les bâtisseurs visionnaire du capitalisme démocratique dans l'Europe d'après-gerre.
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Maintenant, la guerre froide et l'effondrement du communisme ont laissé la Russie aussi prostrée, effrayée et instable que l'était l'Allemagne après la Première et la Seconde guerre mondiale. À l'intérieur de la Russie, l'aide occidentale aurait l'effet galvanisant psychologique et politique que le Plan Marshal a eu pour l'Europe occidentale. Le psychisme de la Russie a été tourmenté par 1000 ans d'invasions brutales, allant de Gengis Khan à Napoléon et Hitler.
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Churchill a jugé que le Plan Marshall était "l'acte le plus désintéressé" de l'histoire [NIE ZGADZAM SIE Z TYM. Ten "acte désintéressé" sluzyl rownoczesnie umocnieniu hegemonii amerykanskiej nad Europa], et son opinion était partagée par des millions d'Européens pour qui l'aide représentait le premier aperçu d'espoir dans un monde effondré. Dans une Union Soviétique effondrée, nous avons une occasion remarquable de raviver les espoirs du peuple russe par un acte de compréhension internationale. L'Occident peut désormais inspirer le peuple russe avec un autre acte désintéressé.
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Ce conseil est resté lettre morte, mais cela ne m'a pas empêché de poursuivre mon plaidoyer. Au début de 1992, j'ai été invité à défendre ma cause dans l'émission d'actualité de PBS, The McNeil-Lehrer Report. J'étais à l'antenne avec le secrétaire d'état par intérim, Lawrence Eagleberger. Après l'émission il m'a demandé de l'accompagner du studio PBS à Arlington, Virginie, jusqu'à Washington, D.C. Notre conversation a été la suivante: "Jeffrey, laissez-moi vous expliquer que votre demande d'aide à grande échelle ne va pas se réaliser. Même en supposant que je sois d'accord avec vos arguments — et le ministre des Finances de la Pologne [Leszek Balcerowicz] m'a fait les mêmes remarques la semaine dernière — cela ne va pas se réaliser. Voulez-vous savoir pourquoi ? Savez-vous quelle année nous sommes ?" "1992", ai-je répondu. "Savez-vous ce que cela signifie ?" "Une année électorale", ai-je répliqué. "Oui, c'est une année électrole. Cela ne va pas se réaliser".
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La crise économique de la Russie s'est rapidement aggravée en 1992. Gaïdar a levé les contrôles des prix au début de 1992, non pas comme une prétendue panassée, mais parce que les prix fixes officiels de l'ère soviétique étaient devenus sans pertinence face aux pressions des marchés noirs, à l'inflation réprimée (c'est-à-dire, l'inflation rapide des prix du marché noir et donc l'écart croissant avec les prix officiels), à l'effondrement complet du mécanisme de planification de l'ère soviétique, et à la corruption massive engendré par les quelques biens encore échangés au prix officiels bien inférieurs aux prix du marché noir.
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La Russie avait urgemment besoin d'un plan de stabilisation du type de celui entrepris par la Pologne, mais un tel plan était hors de porté financièrement (en raison du manque de soutien extérieur) et politiquement (car le manque de soutien extérieur signifiait également l'absence de consensus interne sur la marche à suivre). La crise était aggravée par l'effondrement du commerce entre les nouvelles nations indépendantes post-soviétiques et l'effondrement du commerce entre l'ex-Union Soviétique et ces anciennes nations satellites en Europe centrale et orientale, qui recevaient désormais une aide occidentale et réorientaient leur commerce vers l'Europe occidentale et loin de l'ex-Union soviétique.
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En 1992, j'ai continué sans succès à essayer de mobiliser le financement occidental à grande échelle que je considérais de plus en plus urgent. J'ai mis mes espoirs dans la présidence nouvellement élue de Bill Clinton. Ces espoirs ont également été rapidement anéantis. Le conseiller clé de Clinton sur la Russie, le professeur Michael Mendelbaum de Johns Hopkins, m'a dit en privé, en novembre 1992, que l'équipe entrante de Clingon avait rejeté le concept d'une aide à grande échelle pour la Russie. Mandelbaum a rapidement annoncé publiquement qu'il ne servirait pas dans la nouvelle administration. J'ai rencontré le nouveau conseiller de Clinton pour la Russie, Strobe Talbott, mais j'ai découvert qu'il était en grande partie inconscient des réalités économiques pressentes. Il m'a demandé de lui envoyer des documents sur les hyperinflations, ce que j'ai fait.
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À la fin de 1992, après un an d'effort pour aider la Russie j'ai dit à Gaïdar que je me retirerais car mes recommandations n'étaient pas suivies à Washington ou dans les capitales européennes. Pourtant, autour de Noël, j'ai reçu un appel du futur ministre des Finances de la Russie, monsieur Boris Fyodorov. Il m'a demandé de le rencontrer à Washington dans les tous premiers jours de 1993. Nous nous sommes rencontrés à la Banque mondiale. Fjodorov, un gentleman et expert très intelligent qui est tragiquement décédé jeune quelques années plus tard, m'a supplié de rester son conseiller pendant l'année 1993. J'ai accepté de le faire et j'ai passé une année de plus à tenter d'aider la Russie à mettre en œuvre un plan de stabilisation. J'ai démissionné en décembre 1993 et annoncé publiquement mon départ en tant que conseiller dans les premiers jours de 1994.
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Mon pladoyer continue à Washington est une fois de plus tombé dans l'oreille d'un sourd lors de la première année de l'administration Clinton, et mes propres appréhensions se sont accrues. J'ai invoqué à plusieurs reprises les avertissements de l'histoire dans mes discours publics et mes écrits, comme dans cet article du New Republic en janvier 1994, peu après avoir quitter mon rôle de conseiller.
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Avant tout Clinton ne devrait pas se consoler en pensant que rien de trop sérieux ne peut se produire en Russie. De nombreux décideurs occidentaux ont prédit avec confiance que si les réformateurs partent maintenant, ils reviendront dans un an, après que les communistes auront de nouveau prouvé leur capacité à gouverner. Cela pourrait arriver, mais il y a de fortes chances que ce ne soit pas le cas. L'histoire a probablement donné à l'administration Clinton une seule chance de ramener la Russie du bord du gouffre ; et elle révèle un schéma alarmant de simplicité. Les Girondins modérés n'ont pas suivi Robespierre de retour au pouvoir. Avec une inflation galopante, un désordre social et une baisse du niveau de vie, la France révolutionnaire a opté pour Napoléon à la place. Dans la Russie révolutionnaire, Alexandr Kerensky n'est pas revenu au pouvoir après que les politiques de Lénine et la guerre civile ont conduit à l'hyperinflation. Le désordre du début des années 1920 a ouvert la voix à l'ascension de Staline au pouvoir. Le gouvernement de Brüning n'a pas non plus eu une autre chance en Allemagne, une fois qu'Hitler est arrivé au pouvoir en 1933.
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Il convient de préciser que mon rôle de conseiller en Russie se limitait à la stabilisation macroéconomique et au financement international. Je n'ai pas été impliqué dans le programme de privatisation de la Russie qui a pris forme en 1993-1994, ni dans les diverses mesures et programmes (comme le tristement célèbre programme "Actions Contre prêts" en 1996) qui ont donné naissance aux nouveaux oligarques russes. Au contraire, je me suis opposé aux divers types de mesures que la la Russie entreprenait, les jugeant pleines d'injustice et de corruption. Je l'ai dit tant en public qu'en privé aux responsables de l'administration Clinton, mais ils ne m'écoutaient pas non plus à ce sujet. Des collègues à Harvard étaient impliqués dans le travail de privatisation, mais ils m'ont soigneusement tenu à l'écart de leur travail. Deux d'entre eux ont ensuite été accusé par le gouvernement américain de délit d'initié dans des activités en Russie dont je n'avais absolu aucune connaissance préalable, ni implication d'aucune sorte. Mon seul rôle dans cette affaire a été de les renvoyer de l'Institut de Développement International de Harvard pour avoir enfrein les règles internes de l'HIID contre les conflits d'intérêts dans les pays que l'HIID conseillait.
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L'échec de l'Occident à fournir un soutien financier à grande échelle et en temps opportuns à la Russie et aux autres nations nouvellement indépendantes de l'ex-Union Soviétique a certainement exacerbé la grave crise économique et financière à laquelle ces pays ont été confrontés au début des années 1990. L'inflation est restée très élevée pendant plusieurs années. Le commerce et donc la reprise économique ont été sérieusement entravés. La corruption a prospéré sous les politiques de distribtion des actifs étatiques précieux à des mains privées.
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Tous ces bouleversant ont gravement affaibli la confiance du public dans les nouveaux gouvernements de la région et de l'Occident. Cet effondrement de la confiance sociale m'a rappelé à l'époque l'adage de Keynes en 1919, suite au désastre du traité de Versailles et aux hyperinflations qui ont suivi : "Il n'y a pas de moyen plus subtil, plus sûr de renverser la base existante de la société que de dépraver la monnaie. Le processus engage toutes les forces cachées de la loi économique du côté de la destruction, et il le fait d'une manière qu'un homme sur un million est capable de diagnostiquer.
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Au cours de la décennie tumultueuse des années 1990, les services sociaux en Russie ont décliné. Lorsque ce déclin a été associé aux pressions fortement accrues sur la société, il en a résulté une forte augmentation des décès liés à l'alcool en Russie. Alors qu'en Pologne, les réformes économiques ont été accompagnées d'une augmentation de espérance de vie et de la santé publique, c'est tout le contraire qui s'est produit dans la Russie en crise.
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Même avec tous ces débacles économiques, et avec le défaut de paiement de la Russie en 1998, la grave crise économique et le manque de soutien occidental n'ont pas été les points de rupture définitifs des relations américaino-russes. En 1999, lorsque Vladimir Poutine est devenu premier ministre, et en 2000, lorsqu'il est devenu président, Poutine a cherché à établir des relations internationales amicales et mutuellement soutenues entre la Russie et l'Occident. De nombreux dirigeants européens, par exemple Romano Prodi d'Italie, ont beaucoup parlé de la bonne volonté de Poutine et de ses intentions positives envers des relations solides entre la Russie et l'UE au cours des premières années de sa présidence.
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C'est dans les affaires militaires plutôt que dans l'économie que les relations russo-occidentales ont fini par se détériorer dans les années 2000. Comme pour la finance, l'Occident était militairement dominant dans les années 1990 et avait certainement les moyens de promouvoir des relations fortes et positives avec la Russie. Pourtant, les États-Unis étaient bien plus intéressés par la soumission de la Russie à l'OTAN que par des relations stables avec la Russie.
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Au moment de la réunification allemande, les États-Unis et l'Allemagne ont promis à plusieurs reprises à Gorbatchev puis à Elsine que l'Occident ne profiterait pas de la réunification allemande, et de la fin du Pacte de Varsovie pour étendre l'alliance militaire de l'OTAN vers l'est. Gorbachchev et Eltsine ont tous deux réitéré l'importance de cet engagement des États-Unis et de l'OTAN. Pourtant, en quelques années seulement, Clinton a complètement renié l'engagement occidental et a commencé le processus d'élargissement de l'OTAN. Les principaux diplomates américains, dirigés par le grand homme d'État et erudit, George Kennan, ont averti à l'époque que l'élargissement de l'OTAN conduirait à un désastre : "L'opinion, exprimée sans détour, est que l'expansion de l'OTAN serait l'erreur la plus fatale de la politique américaine de toute l'ère post-gerre froide." Et cela s'est avéré.
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Ce n'est pas ici le lieu de revisiter tous les désastres de la politique étrangère résultant de l'arrogance des États-Unis envers la Russie, mais il suffit ici de mentionner une chronologie brève et partielle des événements clés. En 1999, l'OTAN a bombardé Belgrade pendant 78 jours dans le but de démembrer la Serbie et de donner naissance à un Kosovo indépendant, qui abrite désormais une importante base de l'OTAN dans les Balkans. En 2002, les États-Unis se sont retirés unilatéralement du traité sur les missiles anti-balistiques malgré les vives objections de la Russie. En 2003, les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN ont répudié le Conseil de sécurité de l'ONU en allant en guerre en Irak sous de faux prétextes. En 2004, les États-Unis ont poursuivi l'élargissement de l'OTAN, cette fois vers les États baltes et les pays de la région de la Mer Noire (Bulgarie et Roumanie) et des Balkans. En 2008, malgré les objections urgentes et vigoureuses de la Russie, les États-Unis ont promis d'étendre l'OTAN à la Géorgie et à l'Ukraine.
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En 2011, les États-Unis ont chargé la CIA de renverser Bachar Al-Assad en Syrie, un allié de la Russie. En 2011, l'OTAN a bombardé la Libye pour renverser Mohammar Khaddafi. En 2014, les États-Unis ont conspiré avec les forces nationalistes ukrainiennes pour renverser le président ukrainien Victor Ianoukovitch. En 2015, les États-Unis ont commencé à placer des missiles antibalistiques Aigis en Europe de l'Est (Roumanie), à une courte distance de la Russie. De 2016 à 2020, les États-Unis ont soutenu l'Ukraine dans le contournement de l'accord de Minsk II, malgré son soutien unanime par le Conseil de sécurité de l'ONU. En 2021, la nouvelle administration Biden a refusé de négocier avec la Russie sur la question de l'élargissement de l'OTAN à l'Ukraine. En avril 2022, les États-Unis ont appelé l'Ukraine à se retirer des négociations de paix avec la Russie.
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En regardant les événements autour de 1991-93, et ceux qui ont suivi, il est clair que les États-Unis étaient déterminés à dire non aux aspirations de la Russie pour une intégration pacifique et mutuellement respectueuse de la Russie et de l'Occident. La fin de la période soviétique et le début de la présidence de Eltsine ont marqué l'ascension des néoconservateurs (néocons) au pouvoir aux États-Unis. Les néocons ne voulaient pas et ne veulent toujours pas de relations mutuellement respectueuses avec la Russie. Ils ont cherché et cherchent encore aujourd'hui un monde unipolaire dirigé par un hégémonique États-Unis, dans lequel la Russie et d'autres nations seront subordonnées.
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Dans cet ordre mondial dirigé par les États-Unis, les néoconservateurs ont envisagé que les États-Unis, et eux seuls, détermineraient l'utilisation du système bancaire basé sur le dollar, le placement des bases militaires américaines à l'étranger, l'étendue de l'adhésion à l'OTAN et le déploiement des systèmes de missiles américains, sans aucun veto ou avis d'autres pays, y compris certainement la Russie. Cette politique étrangère arrogante a conduit à plusieurs guerres et un élargissement de la rupture des relations entre le bloc de nation dirigé par les États-Unis et le reste du monde. En tant que conseiller de la Russie pendant deux ans, de fin 1991 à fin 1993, j'ai vécu de première main les premiers jours du néoconservatisme appliqué à la Russie, bien qu'il ait fallu de nombreuses années d'événements par la suite pour reconnaître toute l'ampleur du nouveau et dangereux tournant de la politique étrangère américaine qui a commencé au début des années 1990.
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Jeffrey D. Sachs
September 4, 2024